A. Cortat: Des usines dans les vallées

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Titel
Des usines dans les vallées. L’industrialisation jurassienne en images 1870–1970


Autor(en)
Cortat, Alain
Erschienen
Neuchâtel 2014: Éditions Alphil
Anzahl Seiten
764 S.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
François Jequier

Ce beau livre s’inscrit dans le prolongement de l’intérêt porté par les historiens à la notion protéiforme de patrimoine industriel, laquelle relève d’une nouvelle manière d’appréhender l’histoire économique et sociale à travers les témoignages et les vestiges matériels d’une activité industrielle, fondements de l’archéologie industrielle apparue au début des années 1970 dans les pays anglosaxons avant de se déployer plus modestement en France dix ans plus tard. Par l’observation du bâti, de son emplacement, de sa marque sur le paysage, l’historien s’accoutume à scruter l’image matérielle d’un complexe technologique, d’un secteur de production.

Alain Cortat présente le patrimoine industriel jurassien dans son ensemble à travers plus de 1300 images, légendes à l’appui, couvrant un siècle de 1870 à 1970, précédé d’une solide introduction d’une centaine de pages destinée à préciser les conditions de cette émergence et les principales étapes de ce processus. L’auteur retient vingt-quatre types d’activités économiques pris au sens large jusqu’à inclure les banques, l’hôtellerie et les imprimeries dans le but de recenser et de décrire les marques tangibles de ces activités artisanales et industrielles sur la mémoire visuelle du Jura. Chacun de ces 24 chapitres est précédé d’une courte, mais dense introduction, pour situer le contexte et l’évolution durant le siècle retenu avec des dépassements chronologiques inhérents à certains secteurs comme la sidérurgie et l’horlogerie. Chaque chapitre compte une bibliographie spécifique. Un même site peut avoir abrité successivement plusieurs activités artisanales ou industrielles différentes avant d’être transformé en logements ou en bureaux.

Dans l’usage de l’iconographie, l’image a changé de statut passant du stade de la simple illustration à celui de source comme le précise Alain Cortat: «il y a d’abord une démarche d’historien par laquelle j’ai voulu inverser la pratique habituelle qui veut que l’on parte du texte qu’on illustre ensuite. Ici, l’iconographie est à l’origine du travail» (Le Temps, 9 février 2015). Ce changement de paradigme où l’image prend l’ascendance sur le texte roi est dû en partie au développement de nouvelles approches en histoire de l’art et surtout à l’omniprésence des images dans les médias comme si l’image parlait d’elle-même sans commentaires. L’image, sous-estimée trop longtemps par les historiens dépourvus de toute formation spécifique, s’impose sur le devant de la scène pour enrichir nos perceptions du passé. Les chercheurs ont commencé à se poser des questions sur les modalités de production et les usages de ces images et ont, dans la foulée, proposé de nouvelles grilles de lecture et d’interprétations en fonction du renouvellement des questionnements des diverses approches historiques touchant aussi bien l’économie, le social, la culture et les arts. L’industrialisation du Jura a la particularité d’être issue d’innombrables ateliers familiaux et de micro-entreprises disséminés dans chaque village. A l’exception du site de Choindez et des usines von Roll, les grandes usines sont rares dans la région étudiée. La sidérurgie (110 pages), l’industrie horlogère (131 p.) occupent une place dominante dépassant le cadre chronologique retenu et offrant des images saisissantes des particularités de cette industrialisation régionale. Les cycles et motocycles sortis des usines Condor ont droit à une analyse approfondie basée sur les recherches antérieures d’Alain Cortat et publiées aux éditions Alphil en 1998. Le chapitre sur les banques est un modèle de concision où la plupart des aspects du crédit sont abordés et cadrés chronologiquement pour faire apparaître successivement les caisses d’épargne régionales (1850–1875), les banques «privées» (1870–1900) et les premières succursales des grandes banques (1900–1930). En fait l’horlogerie se caractérise par la prédominance de l’autofinancement au sein d’un capitalisme familial où l’artisan en voie de devenir un entrepreneur tient à rester propriétaire de ses moyens de production. Les pages et les images magnifiques consacrées à l’hôtellerie raviront les nostalgiques de ces belles bâtisses qui eurent leurs heures de gloire jusqu’en 1914.

Cette approche novatrice, qui met l’image en valeur, donne une autre dimension au patrimoine industriel du Jura, lequel peut prendre une valorisation éducative en rendant attentifs les habitants et les touristes à ces innombrables cellules de production nichées parfois sous les toits, qui ont façonné le bâti de la région.

Il serait hautement souhaitable que d’autres régions se prêtent à cette approche originale avant que ces traces matérielles du passé disparaissent des paysages
helvétiques.

Zitierweise:
François Jequier: Rezension zu: Alain Cortat, Des usines dans les vallées. L’industrialisation jurassienne en images 1870–1970, Neuchâtel: Editions Alphil, 2014. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 66 Nr. 3, 2016, S. 467-469.

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Zuerst veröffentlicht in

Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 66 Nr. 3, 2016, S. 467-469.

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